Le don de la vie

Publié le par Féline

images don organesMercredi, nous avons dit adieu à un collègue de travail, décédé à 38 ans des suites d'un AVC. Je connaissais cet homme depuis 10 ans ; nous n'avons pas partagé de grandes confidences, nous savions peu de choses l'un de l'autre... Son job était de régler deux machines en particulier dans l'usine pour fabriquer des produits de qualité et satisfaire les clients, tandis que le mien consiste à trouver les fameux clients et les fidéliser pour qu'ils passent des commandes. Il travaillait dans le vacarme et n'avait pas peur de relever ses manches pour plonger ses mains expertes dans le cambouis ; j'enduis les miennes d'une solution désinfectante au moindre contact suspect et chasse la poussière sur mon bureau régulièrement... Pourtant, nous nous reconnaissions comme légitimement complémentaires et étions fiers de constituer avec nos 78 autres collègues une équipe digne de ce nom, nous avions eu l'occasion d'en débattre et de sympathiser davantage! Nous nous croisions dans l'atelier, au gré de rares soirées organisées, devant la porte à code à l'entrée de la société. Nous échangions de brèves discussions sur tout et rien, des sourires, et nous avons ri de quelques délires communs! Il était enjoué et avait toujours une approche bienveillante, un peps contagieux! C'est l'image à la fois gaie et un peu amère que je garde de lui, un rayon de soleil qui a cessé injustement de briller, sans crier gare...

Il riait encore sur son lit d'hôpital, il y a 15 jours, avant cette opération à risques qui lui a été fatale ; il y a eu des complications, une hémorragie trop importante au cerveau et son coeur a cessé de battre pendant vingt longues minutes pour redémarrer sans même que l'équipe médicale ne comprenne pourquoi... un semblant de miracle, un fol espoir. Il se battait forcément! Il devait sortir de son coma, il semblait réagir à la voix de sa mère, les médecins demandaient à ce que ces quelques signes soient surveillés, bien qu'ils restaient prudents et ne donnaient guère beaucoup d'espoir. Et puis Samedi dernier, tout s'est arrêté brutalement, l'encéphalogramme est resté plat à plusieurs intervalles de contrôles, son corps survivait mais il était parti. S'en est suivie une course contre la montre pour que sa famille donne son accord sur le don d'organes ; ses parents, ses frères et sa soeur ont du faire ce douloureux choix sans connaitre son opinion sur le sujet... Après concertation auprès de ses amis, ils ont décidé que sa mort ne serait pas vaine, qu'elle permettrait de redonner de l'espoir à des malades en train de lutter pour sauver leurs vies!

Mercredi, nous avons été quelques-uns à maudire ce prêtre qui nous demandait de prier pour invoquer le pardon de son dieu sur tous nos péchés y compris les siens... Mercredi, une belle âme s'est envolée, d'une gentillesse et d'une générosité rares. Je n'ai pas prié, je n'ai invoqué aucun dieu, j'ai respecté le choix de ces proches d'avoir choisi ce type d'adieu en serrant les dents pour ravaler une colère sourde ravivée soudainement, une colère si lointaine que sa vivacité m'a surprise. J'ai effleuré son cercueil émue sans parvenir à avoir son visage à l'esprit, comme bloquée, et j'ai eu hâte de retrouver la sortie de ces lieux tant je me suis sentie dans l'imposture face à ses proches, face à ceux qui le connaissaient si bien. J'ai presque fui et je suis retournée bosser en m'efforçant de ne plus penser à tout ce qui venait de se passer, comme une simple spectatrice choisit de zapper des images dérangeantes. La vie continue, c'est bien cela qui semble terrible quand je repense à l'injuste épreuve qu'endure sa famille! J'ai culpabilisé un peu en rentrant retrouver ma petite famille le soir, j'ai serré mes enfants dans mes bras plus fort que d'habitude, j'ai dit "je t'aime" plus tendrement au roi Scorpion avant de fermer mes yeux pour m'endormir. Et puis, jeudi matin, alors que je tapais machinalement le code à l'entrée de l'usine, son visage souriant m'est apparut et une profonde tristesse m'a assaillie. J'ai réalisé que je n'en saurai pas davantage sur lui, mais que je ne l'oublierai pas, qu'il laisserai une jolie trace dans ma vie aussi et que c'était bien ça que j'aurais voulu lui exprimer lorsque je me suis arrêtée devant son cercueil (au lieu de me sentir idiote et de contrôler mes émotions, de me soucier de rester digne ou plutôt "décente" face à la douleur des siens). Je ne l'oublierai pas et il semble que son sourire bienfaiteur doive me hanter encore quelques temps car je ne parviens plus à l'effacer de mon esprit pour l'instant...

Il a fait don d'une nouvelle vie, espérons-le, au moins à trois voire quatre personnes. C'est un beau geste dont il n'a pas choisi de prendre l'initiative, mais un don qui me semble bien le caractériser, un don précieux et honorable, un autre souvenir à notre actif lorsque nous penserons à lui, il a fait du bien jusqu'au bout!

Il y a 15 ans, c'est le meilleur ami du roi Scorpion qui disparaissait brutalement après avoir quitté la route accidentellement, la route de son destin, la route de nos vies aussi ; il avait 21 ans et nous ne l'avons pas oublié, tout nous rappelle régulièrement à lui. La colère et la douleur ont laissé place à une tristesse sous-jacente qui ne s'est pas dissipée, mais c'est avec joie que nous honorons sa mémoire de temps à autre. Il était flemmard, un peu immature mais tellement généreux et gai, un p'tit bonhomme dont la compagnie était toujours synonyme d'éclats de rire et de partage! Sa mort a permis à d'autres personnes de vivre, lui aussi avait fait le don de la vie, sans le savoir, sans le prévoir... Cela n'avait pas apaisé le sentiment d'injustice à l'époque, cela n'avait pas réduit notre peine mais cela nous avait sensibilisés pour la première fois à cette cause et cela nous avait permis de nous positionner en toute conscience sur nos choix et d'engager des discussions avec nos proches.

Et puis trois mois après l'envol de notre ami, c'est ma tatie qui est partie brutalement aussi, nous venions de fêter Noël tous ensemble chez mes parents quelques jours auparavant. C'est, elle aussi, un accident de la route qui l'a emportée, elle avait 33 ans et était maman de deux fillettes de 4 et 9 ans. Elle n'a pas eu l'occasion de faire don de la vie, quant à elle, mais elle a tant donné quand elle partageait nos vies ! Je me rappelle mes cris de douleur à l'annonce de son décès, mes hurlements étouffés dans les bras de mon père au funérarium, et ma colère contre le monde entier, contre ce fameux dieu si bon que l'on nous demandait de prier tandis que je serrai la main de son enfant (ma filleule alors âgée de 9 ans) dans la mienne... Je me souviens ses spasmes étouffés et notre fuite à toutes les deux vers la sortie presque en courant pour tenter de retrouver notre respiration à l'extérieur...

J'ai malheureusement eu l'occasion d'assister à bien d'autres adieux depuis celui de ma tatie, mais c'est bien cette même colère sourde qui a grondé en moi à l'évocation d'un dieu juste lors des obsèques de mon collègue. Je n'ai jamais eu la foi en aucun dieu aussi longtemps que je m'en souvienne, mais j'ai foi en ceux que j'aime, foi en ce que l'être humain a de bon pour être capable d'aider son prochain, comme ce fameux don de la vie après sa propre mort!

Publié dans le blues de la lionne

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
<br /> <br /> Personnellement je n'ai pas tant de foie en l'être Humain. Si certains sont nés avec cette bonté, d'autres me semblent guidés sur  ce difficile chemin qu'est la vie et<br /> d'autres pas du tout : ce qui me pousse parfois à espérer que ces derniers le soient afin qu'ils connaissent enfin  ce sentiment que l'on ressent à être bon et juste !<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre