Ma soeur de coeur... ma douleur!

Publié le par Féline

pouponnièreMélanie se dit être ma soeur de coeur... Et visiblement, c'est incontestable, je n'ai pas le droit de décider le contraire, d'ailleurs je n'ai plus aucun droit dans cette soit-disante famille, même pas d'exister sans elle!

Mes parents ont décidé de devenir famille d'accueil quand j'avais 11 ans et j'étais fille unique. Bien sûr, il y a eu concertation et j'ai accepté cette aventure qui semblait peu effrayante, à mon goût, selon la description qui m'en avait été faite à l'époque ; ma mère devait consacrer du temps à un enfant, ou plusieurs (selon le temps d'accueil nécessaire à chacun), et l'aider à retrouver un cadre serein, avec notre soutien, pour lui permettre de grandir puis de retrouver ses parents biologiques, dans le meilleur des cas, à terme... Voilà le "deal" qui avait été passé entre la DASS, mes parents et moi. Nous étions souvent mis en garde sur le fait que l'enfant accueilli pouvait être "retiré" à tous moments, brutalement. Les messages étaient sans équivoque, un peu angoissants parfois, mais je les ai compris et j'ai subi sans broncher les différentes expertises psychologiques auxquelles j'ai été soumise moi aussi pour que notre famille, ma mère, obtienne l'agrément indispensable.

Mélanie est arrivé dans nos vies deux ans plus tard, elle avait à peine 5 mois et avait été séparée dès la naissance de ses parents handicapés mentaux et moteurs "légers" qui avaient conçus le fruit de leur amour en hôpital psychiatrique... Mélanie a été placée en pouponnière jusqu'à ce que nous ayons été contactés pour venir la chercher, enfin la "choisir"... Car en réalité, nous devions faire un choix entre deux enfants, cela parait démentiel et pourtant ce fut une première réalité fort déconcertante en ce qui me concerne! L'autre enfant était un petit garçon de 3 ans très perturbé suite à diverses maltraitances physiques et mentales absolument abominables ;  ce petit bonhomme en quête permanente d'attentions et d'affection ne savait pas s'exprimer si ce n'est par des hurlements impressionnants. Mes parents ont décidé de s'occuper de Mélanie, pour me protéger un peu et sans doute aussi parce que cela semblait plus facile, je peux aisément les comprendre.

Au bout d'une semaine de visites dans cette pouponnière, brève période de transition pour préparer notre accueil, j'ai été choquée de découvrir cet univers aux murs très colorés mais où il m'a semblé, du haut de mes 13 ans, que le personnel (bien que vraisemblablement dévoué) manquait tant d'humanité et de douceur... Je commençais à réfléchir à mon orientation à cette époque comme cela était exigé et je souhaitais devenir puéricultrice, ce que j'ai découvert là-bas m'a définitivement débarrassée de l'envie de me lancer dans ce type de carrière dans le social, je me sentais en révolte permanente et bien incapable d'être spectatrice de ce genre de situations sans y laisser des plumes!

Notre quotidien a rapidement été bouleversé par cette petite frimousse adorable. Nous l'avons rapidement chouchoutée, et nous avons été très vite épuisés par d'interminables nuits sans sommeil, surtout ma mère bien sûr : Mélanie avait été "droguée" pour dormir la plupart du temps en pouponnière, et il a fallu bien plus de deux ans pour la sevrer et lui permettre de dormir un peu mieux sans médicaments, mais il aura surtout fallu au moins six mois à mes parents pour le comprendre avec l'aide d'un pédiatre non recommandé par l'ASE (ou la DASS à ce moment là)... Mes parents n'avaient pas été préparés à cela et le monde idéal imaginé au départ avec un enfant "normal" s'est vu brutalement disparaitre! J'ai assisté aux premières tensions entre mes parents, mais je ne m'en suis pas inquiétée. Les parents biologiques de Mélanie se réinséraient peu à peu en société et dès le début, ils ont eu un droit de visite à leur domicile en présence d'une travailleuse familiale chaque mercredi... Nous ne savions rien ou très peu de ce qui se passait pendant ces journées, mais Mélanie en revenait très perturbée et cela déstabilisait toute la famille.

Le temps a défilé et Mélanie a prononcé ses premiers mots, dont "Papa" et "Maman", à l'égard de mes parents... Je n'en n'ai pas été tellement affectée me semblait-il, à ce moment là du moins, car je ne me posais pas de questions, tout coulait de source. J'adorais ce petit bout de choux, j'ignorais les propos agaçants des assistantes sociales qui tentaient de nous mettre en garde sur les liens qui s'instauraient entre Mélanie et nous tous et je soutenais ma mère qui était épuisée par tout ce qu'elle devait gérer mais faisait face courageusement ; ma mère m'affirmait qu'il était bien normal que Mélanie les appelle ainsi puisqu'elle m'entendait dire "papa" et "maman" à longueur de journée, que les A.S. étaient des personnes incompétentes, la plupart du temps, pour qui Mélanie n'était qu'un numéro de dossier. Je l'ai crue, je lui ai fait confiance, je ne me suis autorisée aucune jalousie, je n'en n'avais pas le droit. J'avais tout d'une enfance choyée et ma mère ne cessait de rappeler le sort malheureux de Mélanie à qui voulait bien l'entendre. Je ne pouvais pas être égoïste pensais-je, j'avais tout, elle n'avait rien, je me devais de partager... Et puis, c'est ce que mes parents semblaient attendre de moi aussi, je ne devais pas les décevoir! 

Mélanie a commencé à trouver sa place, je n'imaginais pas une seconde que j'étais en train de perdre la mienne, je m'interdisais tellement à le penser que je n'ai rien vu venir! Mélanie prenait ses marques, je laissais les miennes s'effacer sans en avoir conscience. Mélanie devenait ma soeur de coeur, une soeur tout court, je le revendiquais auprès de notre entourage, je ne supportais pas que l'on me parle des liens du sang et de différences. Mes parents disaient ne pas vouloir faire de différence, je n'en faisais pas non plus et défendait violemment ce point de vue. Mélanie s'épanouissait, je m'effaçais de plus en plus sans le savoir. J'étais enrichie d'une soeur, et je semblais heureuse, mais en même temps, je commençais pourtant à ne plus supporter mon corps ni mon reflet dans un miroir et cette sensation n'allait plus me quitter pendant plus de vingt ans. J'avais mal mais je n'imaginais pas d'où provenait cette douleur étrange et sans doute sans importance...

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M
<br /> <br /> C'est toujours difficile à comprendre et expliquer une relation fusionnelle et c'est en général tout l'entourage qui en souffre... Sincèrement je ne sais pas si on peut lutter ou non contre cela<br /> ! (Mon père et moi n'avons  pas pu trouver notre  place entre mon Isabelle et sa mère)  Mais ce qui est sûr c'est qu'il est temps je pense de revendiquer ta place, de<br /> montrer que tu n'es pas obligée d'être celle qui a non seulement tout partagé mais qui à dû tout comprendre, tout accepter et taire ses sentiments. Tu en souffre tant physiquement<br /> que moralement, ne les laisse pas faire Féline, tes lionceaux et ton scorpion ont besoin de toi.<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Je ne me suis pas laissée faire, j'ai revendiqué ma place mais ce fut pire encore, tu le comprendras bientôt... J'apprends aujourd'hui à ne plus me laisse piétiner, et crois-moi, c'est une guerre<br /> froide bien longue où rien n'est jamais acquis! Merci du fond du coeur pour ta compréhension incroyable et tes encouragements...<br /> <br /> <br /> <br />